Les cavaliers électriques
- le voleur de silhouettes
- 1 déc. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 oct.

Ce récit court s'inscrit dans la série du "voleur de silhouettes". Pensé comme une promenade dans le sud des Etats Unis, Il devait fonctionner comme un polar et pourtant rien ne se passe comme prévu au son de Willie Nelson : l'acrasie*en décide autrement.

Premières pages : L’avion s'est posé avec quelques heures de retard. J’avais passé la nuit d’un vol impétueux à siffler une bouteille de bordeaux en classe affaires. Les perturbations atmosphériques n’avaient en rien émoussé ma bonne humeur. Je revenais en Louisiane avec joie même si cette fois, j’avais une mission périlleuse à accomplir.
Les trous d’air ressemblaient à s’y méprendre aux turbulences que l’on traverse dans la vie. On est ballottés et dérangés, mais on finit toujours par atterrir quelque part. Au pire, la carlingue explose et c’en est terminé. Il ne sert donc à rien de s’inquiéter. Evan Duril était là. Sa voix grave et déchirée résonnait comme une explosion envenimant ma migraine. Mais quel bonheur de se retrouver. Il faisait beau et une chaleur agréable au sortir de l’aéroport contribuait à me rendre joyeux. On ne s’était pas revus depuis mon dernier séjour à Galveston. Il animait toujours sa fameuse émission de radio qui l’avait rendu célèbre mais il gardait son éternelle allure de vieil adolescent et j’ai eu l’impression qu’il portait le même jeans élimé que la dernière fois où je l'avais vu. Ce géant roux mal rasé, à la tignasse en bataille, tenait définitivement plus du clochard que de la star des médias. – Je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle, dit-il, mais j’ai pris quelques jours de vacances. Alors si tu veux, je viens avec toi jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Évidemment je ne veux pas te déranger, je te propose seulement.
– Carrément !
Le géant barbu a esquissé un sourire, chargeant mon sac dans le pick-up et sifflotant.
Il a mis le contact et le V8 a réveillé mon âme alanguie par le vilain ronron des machines à coudre européennes que l’on ose appeler des voitures.
– C’est ça un bruit de moteur. Il ne manque plus qu’un bon morceau de musique !
– « On the road again » ! – Oui, mais pas le titre de Cannet Heat !
– Évidemment mon ami ! a-t-il crié en français, celui de Willy Nelson : c’est le seul !
Il a allumé un joint en se marrant et le gros Chevrolet s’est élancé sur le Freeway. Et voilà, on allait recommencer nos longues discussions sur la musique comme si on s'était quittés la veille. Ce serait un réconfort d’avoir un ami tel que lui à mes côtés pour les prochains jours qui s’annonçaient compliqués.
– C’est un matin comme celui-ci où Willy Nelson a embarqué Sydney Pollack et Robert Redford jusque dans son ranch pour faire la fête. Ils y ont décidé de tourner « The Electric Horseman ». Tu te souviens de ce film, Evan ?
– Et comment ! Ils le voulaient comme une ode à la liberté ! Et c’est aussi la première fois que Willy est apparu à l’écran en tant qu’acteur.
– Le cow-boy à la retraite qui veut juste sauver un vieux cheval,
c’est un peu nous, j’ai l’impression.
– On va directement à la prison ? Tu veux voir ton pote ?
– Oui, si ça ne te gêne pas, je dormirai plus tard.
Nous roulions lentement sur cette énorme autoroute qui s’enlisait entre le bayou et les zones industrielles. La route défilait en temps, en morceaux de musiques. Il n’y avait pas de distances, tout ici était relatif, comme le calme du moteur, la lenteur des énormes camions chromés qui nous dépassaient, les grands panneaux publicitaires qui glissaient, vantant les mérites de Marlboro et de la Budweiser. Un pays normal où boire et fumer n’était pas un délit. Evan Duril conduisait tranquillement en souriant. Cette virée en Louisiane semblait lui plaire. Ce genre de type ne se posait jamais de questions. Il s’interrogeait à peine sur la nécessité de changer de tee-shirt plus d’une fois par mois et cultivait son herbe au son du rock’n roll dans son coin retiré du Texas. Le reste n’avait aucune prise sur lui, à part sans doute l’amitié. Un dernier bastion imprenable. Son talon d’Achille.
– Je ne sais pas dans quoi je t’embarque mon vieux ! lui ai-je murmuré.
– Ne t’inquiète par pour moi. Je te dépose. Je t’attendrais dans le pick-up. Et si ça traîne trop, j’irai nous acheter quelques bières. Je n’ai aucune curiosité pour les geôles de la ville, ce sont des endroits que je laisse aux victimes des déconvenues du rêve américain.
– Bonne idée. Profites-en pour faire le plein.
– L’idée de commencer une équipée en état d’ivresse est l’apanage des âmes égarées mon ami ! a-t-il lancé comme une sentence servie par son incroyable voix radiophonique.
– Puisque tu le dis, tu n’as qu’à faire ça !
Et voilà, tout semblait simple avec lui. Comme si nous étions juste en balade. Je me sentais hors du temps, on planait doucement au-dessus des choses et de la route. Mais peut-être était-ce juste un effet conjugué du décalage horaire et de l'herbe.
J’avais fait tout ce voyage pour aller voir mon vieil ami Franck Donel. Cet idiot était en prison et il m’avait appelé au secours. Moi qui le connaissais bien, je devinais qu’il s’était encore mis dans un guêpier inextricable. Largement assez gros pour me faire venir.
Ecoutez un second extrait.
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Sur la première couverture (de la première édition) des cavaliers Electriques apparaissait ce message, il n'aura pas échappé à l'éditrice comme aux lecteurs que dans ce récit, l’acrasie* est la cause de toute l'histoire. La Nouvelle Orléans où se déroule la nouvelle est en effet une terre propice pour les rencontres de silhouettes dont l'activité principale est d'agir à l'encontre de leur meilleur jugement. * L'acrasie : la muse des clochard célèstes ! |



























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