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Laurent Nicolas

Louisiane

Dernière mise à jour : 6 août


" Chacun de nous a son passé renfermé en lui, comme les pages d'un vieux livre qu'il connaît par cœur, mais dont ses amis pourront seulement lire le titre. " Virginia Woolf


Etude pesonelle acrylique sur toile 80 X 80 cm

Elle s’était assise sur les marches à l’ombre, face aux quais, pour fumer. C’est le genre d’endroit perdu au bout d’une route, où l’on échoue, car le bitume s’arrête face à la mer. Plus par disgrâce que par choix.

Elle le regardait du coin de l’œil en souriant. Il ne semblait pas triste et gris comme les gars qui bossent à la conserverie, avait-elle sans doute pensé ?

- Vous n’êtes pas d’ici ? avait-elle fini par demander de loin.

Il fit non de la tête.

Il flottait dans l’air une odeur de marais mêlée à celle du gazole des bateaux. Un étrange vent chaud poussait les rares arbres à courber la tête vers le Nord, comme des pénitents rentrant d’une procession, à la manière d’une toile de Goya.

C’était ce genre d’ancienne ville de pécheurs oubliée où l’on vient se cacher. Il y en a des tas, de l’autre côté de la frontière du Texas ou du Mississippi. Des bourgades ravagées par plusieurs cyclones et lasses de se reconstruire, couvertes de blessures, peintes en bleu et boue, dont les routes restent barrées en jaune : le genre d’endroit où le passé ne te rattrape plus car ici tout semble disparaître dans le marais.


Lui, se rendit compte soudain qu’il la regardait depuis un moment de manière insistante, dessinant dans sa tête la silhouette en contre-jour avec le vent et les cheveux attachés qui tentaient des filaments dorés au soleil. Sans doute était-ce son regard appuyé qui avait attiré son attention. Il s’en trouva gêné et s’en excusa.


Elle parlait français, presque sans accent, elle l’avait appris à l’école. Elle avait lu les auteurs francophones et vu les films de François Truffaut. Sa voie était assurée, celle d’une femme d’âge mure qui fume une cigarette sur le perron d’un bar.

Des pélicans paresseux et narquois attendaient le retour des bateaux de pêche.

Elle ne parlait plus. Lui se demanda si elle n’avait pas épuisé tous les mots de français qu’elle connaissait. Puis il comprit qu’il faut souvent se garder de trop parler en certaines contrées.


Il avait deviné juste, elle avait dû fuir Beaumont et de mauvaises rencontres autant qu’une enfance turbulente entre Baton Rouge et Oakdale. Comme bien des femmes ici, elle avait eu un enfant bien trop tôt, d’un pécheur engagé dans une guerre de l’empire, qu’il perdit en quelques jours pour ne jamais revenir l’épouser. Ouvrir un bar, location de voiture & bateaux au bout du monde n’était finalement que la recette idéale pour disparaître petit à petit dans la multitude des silhouettes d'un port aux lumières chancelantes et vacillantes...

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