top of page
Laurent Nicolas

La muse des clochards célestes.

Dernière mise à jour : 8 août


J’ai agité le pouce sans succès pendant des heures, et tout en regardant défiler les voitures je me suis souvenu de cette vieille histoire de Diogène demandant l’aumône à une statue en marbre. Quand un badaud intrigué l’avait questionné sur son étrange comportement, Diogène avait expliqué qu’il « s’entraînait », « À quoi ? » avait demandé l’étranger. Et Diogène avait répondu : « À être ignoré. » Peter Kaldheim

Etude personelle : acrylique sur toile 80X80 cm 2013 Laurent Nicolas - atelier moreau

Etude personelle : acrylique sur toile 80X80 cm 2013 Laurent Nicolas - atelier moreau "J’avais dû m’endormir. Je ne savais même pas où j’étais allé. Je m’étais perdu dans mes pensées. Avais-je marché au soleil? Un cavalier s’est approché. Son cheval semblait fourbu. C’était sans doute le fantôme de Rising Star, le pur-sang du film de Sydney Pollack. L’animal était superbe, mais il boitait un peu. Et Robert Redford s'est penché en me regardant dormir.

– Tu crois que tu es un cow-boy ? a-t-il murmuré. – Vous m’entendez ? Vous allez bien ? Il y avait une fille dans mon rêve mais elle ne ressemblait pas à une actrice. Elle portait un blouson en jean et me secouait. – Êtes-vous Hallie Martin ? – De qui parlez-vous ? Non, je m’appelle Alice, vous avez l’air mal en point. Que faites-vous là ? Cette fille ne ressemblait ni à un personnage du film ni à celui d’un rêve. C’était donc la preuve que j’étais éveillé. Aurais-je marché en dormant ? J’étais sur le perron d’une maison à l’herbe fraîchement coupée. Un de ces nouveaux quartiers de lotissements pour la middle-class aisée de La Nouvelle-Orléans." Extrait : Les Cavaliers electriques. 



Il existe un concept qui exprime une «faiblesse de la volonté», C'est le carburant le plus représenté dans la littérature de la Beat génération et thème récurant de la culture rock. Compagne de certains auteurs, elle fut aussi l’instigatrice de nombreux personnages de romans célèbres pour cause de drogue, d’alcool ou de désespoir :  "L’acrasie – cette faiblesse de caractère qui vous pousse à agir contre votre intérêt. Si le grec n’est pas votre truc, appelons ça Idiot Wind, le vent idiot, comme Bob Dylan […]. Pendant plus de dix ans son souffle a déchiqueté ma vie", résume Peter Kaldheim au début de ses Mémoires. Selon certains philosophes (par exemple, Spinoza), si nos actes suivent spontanément "ce que nous avons jugé bon de faire" alors la volonté, comprise comme faculté distincte de la raison, n'a pas lieu d'exister. C’est ici que surgit le paradoxe de l'acrasie et sous son emprise son adepte devient un pilier de comptoir, irascible, pathétique, il nourrit sa vie durant, jusqu’à plus soif, une intarissable révolte adolescente. Il y a des Hommes et la légende noire et il y a aussi des œuvres, exigeantes et d’une sombre beauté. L’acrasie semble parfois être la terrible compagne instigatrice de création géniale… Et si on voulait, par exemple faire la bibliothèque idéale de L’acrasie, elle s’insinue dans les personnages d’Ernest Hemingway, Malcolm Lowry, Knut Hamsun et Saul Bellow, sous la plume de Kerouac (Sur la route), George Orwell (dans la dèche à Paris et à Londres), Fred Exley (Le Dernier Stade de la soif) ou Ken Kesey (Vol au-dessus d’un nid de coucou) entre autres. La vie de Ludwig Hohl en est l'illustration. Charles Bukowski disait «L’alcool m’a mis dans des situations que je n’aurais jamais connues sans lui: des lits, des prisons, des bagarres et des longues nuits insensées. Durant toutes mes années de clochard et de banal ouvrier, l’alcool a été la seule chose me permettant de me sentir mieux. Ça m’a sorti du piège rance et boueux. Les Grecs n’appelaient ils pas le vin «le sang des dieux» ?

Ce concept qui opposa Socrate et Aristote, bien que fascinant en littérature, n’est pas, que le vent mauvais des poètes et guide encore aujourd’hui bien des déraisons terribles. L’acrasie s’empare du jugement du fou et du fanatique et conduit hélas parfois aussi aux pires extrémités.  « Mais je ne veux pas fréquenter des fous, » fit observer Alice.

- Vous ne pouvez pas vous en défendre, tout le monde est fou ici. Je suis fou, vous êtes folle.

- Comment savez-vous que je suis folle ? dit Alice

- Vous devez l’être, dit le Chat, « sans cela, vous ne seriez pas venue ici » **


 

 

Lire : 

Ludwig Hohl est un écrivain suisse alémanique rare nimbé d’une aura de légende qui a voué son existence à la littérature, laisse une bibliographie assez maigre, avec deux pics: Ascension, un bref roman écrit et réécrit pendant une quarantaine d’années avant sa parution, en 1975, et Notes ou De la réconciliation non-prématurée, un gros livre inclassable tenant du journal, de la philosophie et de la poésie. (source : Le temps

** Lewis Carol Cet extrait d'Alice m'incite à recommander également La Nuit du Jabberwock de Frederick Brown, lisez le : vous comprendrez pourquoi !  




Sur la première couverture (de la première édition) des cavaliers Electriques apparaissait ce message, il n'aura pas échappé à l'éditrice comme aux lecteurs que dans ce récit, l’acrasie est la cause de toute l'histoire. La Nouvelle Orléans où se déroule la nouvelle est en effet une terre propice pour les rencontres de silhouettes dont l'activité principale est d'agir à l'encontre de leur meilleur jugement.


Note à propos des Cavaliers electriques.


Mots-clés :

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page