Nous avons marché, la chienne et moi comme nous l’avons fait, me semble-t-il, depuis toujours, remontant une draille* cévenole à la conquête d’un vol de bartavelles. La chienne, avide, rêve de tenir dans sa gueule la rançon ensanglantée d’une promenade matinale en chasse prolifique. Mais nous ne chassons que les silhouettes d'oiseaux, avec les yeux pour fusils. Et déjà, la chaleur du matin dissipant la brume, porte en elle les parfums de lavandes, de thyms et de chènes verts... Nous devons rebrousser chemin avant la canicule. De nos rêves de conquérants, huguenots braconniers, camisards* en fuite, il ne reste plus que le souvenir de l’épervier de Maheu* survolant notre errance. Nous nous sommes égarés et par le sentier des vignes, avons dévalé les falaises et rejoint la route jusqu’a l’Ourne*, douce rivière dont on entend le chant, dont on sent la fraîcheur sans en voir l’onde tant elle est dissimulée derrière son taillis de verdure. La chienne va pourtant boire dans un gué, fraiche et légère comme un trait de lumière.
Je rentre enfin à la Cigalière, la demeure familiale. La chienne traîne la patte, mon dos me fait souffrir, heureux et bredouille… dans quelques jours je rentrerai à la capitale : les vacance sont finies.
J’aimais adolescent courir la montagne, visiter les jases* abandonnées et m’inventer un monde ou je serais ermite comme dans les livres de Pagnol. "Avec un H". Je lisais et relisais Julien Gracq, persuadé de trouver en lui une sorte de David Thoreau de la littérature. Je n’avais que 17 ou 18 ans et ce sont parmis les plus beaux souvenir de mon enfance que je garde secret, précieusement enfermés, qu'il ne faudrait jamais raconter si ce n'est avec des gestes simples, avec discrétion... Jamais à l’époque je n’aurais pensé qu'un jour j'achèterai une forêt, m’y promènerai pour tracer mes chemins. Jamais je n’aurai songé une seconde, allez avec ma chienne, ramasser les branches mortes pour le feu du soir fait du bois de ma futaie.
Me voilà ainsi aujourd’hui, vieillissant et heureux avec la même histoire dans cette autre frondaison, nous y croisons des faisans et l’autre jour un trio de chevreuils que la chienne veut à tout pris courser malgré mes réprimandes… Nous avons marché, elle et moi comme nous l’avons fait, me semble-t-il, depuis toujours… * Les bartavelles sont des sortes de perdrix rouges.
Les drailles sont les premiers chemins en Cévennes permettant la conquête du Massif central mais aussi le déplacement des troupeaux. Les jasses sont des abris, ou petites bergeries. La guerre des Cévennes ou guerre des Camisards est un soulèvement de paysans protestants dans les Cévennes et Bas-Languedoc sous le règne de Louis XIV. L'apervier de Maheu est un roman de Jean Carière qui eu le prix goncourt et raconte : un homme ,un épervier, une famille qui vit dans la pauvreté (était ce la sienne ?) dans une région rude des Cévennes loin de toutes les commodités